Qui est Tô Lâm , le nouveau président du Vietnam ?
A la fin de l’été 2024, le puissant ex-ministre de la Sécurité Tô Lâm est parvenu au sommet du pouvoir après une lutte impitoyable de factions au sein de l’appareil du parti communiste vietnamien.
Tô Lâm, qui a la double casquette de secrétaire général et de président, est allé à New York pour assister à l’ouverture de l’Assemblée générale des Nations unies (UNGA), un événement qui rassemble les dirigeants du monde entier. Il a également été annoncé à la dernière minute qu’il pouvait rencontrer le président américain Joe Biden en marge de l’UNGA, après un long et insistant processus de démarchage de la part du Vietnam.
Au même moment avant son voyage aux États-Unis, le Vietnam a libéré un prisonnier politique important, le militant pour la démocratie Tran Huynh Duy Thuc ( voir image ci-dessous) huit mois avant l’échéance de sa condamnation de 16 ans de prison.
Bien que l’opinion internationale connait peu la personnalité de Tô Lâm avant son ascension au pouvoir , il est important de découvrir quelques réalités inquiétantes : “un personnage autoritaire et intelligent qui a compris l’importance des investissements étrangers pour le maintien du régime ” selon l’ancien ambassadeur américain au Vietnam Ted Osius.
Une montée implacable au pouvoir.
Né en 1957, originaire de la province de Hung Yên au Nord-Vietnam située entre la capitale Hanoi et le port de Hai Phong, Tô Lâm a bâti toute sa carrière au sein de l’appareil sécuritaire du régime. Exécutant zélé des directives de l’ancien secrétaire général Nguyên Phu Trong en matière de lutte contre la corruption , toutes les grosses affaires qu’il aurait démasqué ( mais très arbitrairement surtout contre les rivaux de ce dernier au sein du Parti) en tant que responsable de la Sécurité et de la Police depuis 2016 n’ont fait qu’apparaître au grand jour et à la population la déliquescence, les malversations et les trafics d’influence au sein de l’appareil du Parti communiste vietnamien et ce au plus haut niveau. Notamment pendant la terrible pandémie du Coronavirus avec les scandales des faux test Viet A au niveau sanitaire et du programme de rapatriement en urgence des Vietnamiens de l’étranger.
Les six derniers mois ont été déterminants pour Tô Lâm. A la tête du ministère de la sécurité publique (MPS), il a accédé au rang de président du Vietnam ( une étape intermédiaire avant le poste final : celui de secrétaire général du parti , de facto le plus puissant dans la hiérarchie du régime) après la démission forcée du président Vo Van Thuong pour complicité de corruption présumée. Rappelons que le président précédent Nguyen Xuân Phuc avait été brutalement démis de ses fonctions pour les mêmes raisons.
Dans ses précédentes fonctions de ministre de la sécurité publique, Tô Lâm a été le principal responsable de la surveillance et de la détention accrue des dissidents politiques et opposants de la société civile. On se souvient encore du drame du village de Dông Tâm en 2020 et l’expropriation de familles de paysans qui s’est soldée par l’assassinat du chef du village Lê dinh Kinh et deux condamnations à mort parmi ses proches. A l’étranger, ses services de sécurité ont été impliqués directement dans l’enlèvement en 2017 d’un apparatchik en fuite Trinh Xuan Thanh en plein centre de Berlin au grand dam des autorités allemandes. Récemment encore, le Vietnam a rapatrié de force deux opposants réfugiés en Thaïlande respectivement Truong Duy Nhat en 2019 et Duong Van Thai en 2024. Le Vietnam a vu se rétrécir rapidement l’espace réservé aux organisations non gouvernementales, en particulier après la fermeture de plusieurs ONG environnementales sur la base de fausses accusations d’évasion fiscale.
Tô Lâm n’était pas seulement féroce pour les dissidents et activiste de la démocratie , il était aussi brutal pour les personnes qui faisaient partie des autres factions du parti notamment originaires du Sud Vietnam. Il a systématiquement organisé l’élimination politique des hauts fonctionnaires qui menaçaient son ascension au pouvoir au nom de la lutte contre la corruption et placé ses protégés aux postes-clés . Rien qu’au cours des six premiers mois de cette année, la moitié des puissants membres du Bureau politique du Vietnam ont été démis de leurs fonctions ainsi qu’un nombre considérable de députés et de ministres.
Une accalmie momentanée ou une éclaircie durable pour les mouvements démocratiques ?
En dépit de ce bilan bien sombre, l’Occident a pratiquement avalisé l’ascension au pouvoir de Tô Lâm en raison de ses affinités avec les milieux d’affaires au nom de la realpolitik. Au cours des premières semaines de son mandat, il a affirmé publiquement que sa campagne anti-corruption n’entraverait pas le développement économique et le business avec l’Occident. Cette nouvelle volonté d’attirer les entreprises – en particulier les entreprises américaines – au Viêtnam est différente de celle de son prédécesseur marxiste Nguyen Phu Trong, qui se focalisait sur la légitimité et la pérennité du marxisme-léninisme pour le Vietnam et par conséquent d’un rapprochement de fait avec la Chine.
Il n’est pas clair si Tô Lâm a fait partie lui même auparavant de la corruption généralisée du régime et a agi à ce jour selon ses propres convictions ou en raison de luttes politiques intestines en coulisses. Sa préoccupation de plaire à l’Occident était si importante que les autorités vietnamiennes ont libéré le prisonnier politique de premier plan Trân Huynh Duy Thuc avant sa visite aux États-Unis.
” Les geôles communistes ne peuvent que détruire mon apparence mais pas ma volonté”
Paroles de Trân Huynh Duy-Thuc à sa sortie de prison quinze ans après.
Tran Huynh Duy Thuc est peut-être le prisonnier politique et de conscience le plus en vue au Vietnam et dans les milieux de la diaspora vietnamienne. Son parcours , sa personnalité et son courage en prison ont inspiré bon nombre de militants. Condamné à une peine de 16 ans de prison en 2008 pour ” conspiration contre l’état vietnamien” , il a toujours refusé une expulsion hors du Vietnam , avait effectué avec succès plusieurs grèves de la faim pour mauvais traitements des détenus et exigé une libération en bonne et due forme. Sa sortie forcée de prison et son retour en famille ont été organisés pratiquement sans information préalable de la part des autorités à la veille du voyage de Tô Lâm aux Etats-Unis.
Dans le passé, le gouvernement vietnamien a toujours entretenu un cercle vicieux consistant à libérer ou expulser des prisonniers avant des événements internationaux importants importants … pour revenir à ses méthodes oppressives immédiatement après. Trois prisonniers d’opinion actuels Dang Dinh Bach, Trinh Ba Tu et Bui Van Thuan détenus dans la prison n° 6 de Nghe An, ont entamé une grève de la faim depuis le 28 septembre d’une quinzaine de jours pour protester contre les conditions de vie déplorables dans cet établissement et exiger des autorités qu’elles libèrent tous les prisonniers politiques. La prison de Nghe An est principalement connue pour le traitement sévère qu’elle inflige aux détenu(e)s.
Pour reprendre les paroles de l’ex-consul vietnamien en Suisse Dang Xuong Hung qui avait obtenu le statut de réfugié politique en Suisse en 2014, un homme aussi avisé et pragmatique comme Tô Lâm ne peut être pire que son prédécesseur Nguyen Phu Trong lequel déclarait à qui voulait l’entendre que “la société vietnamienne devait peut-être attendre encore cent ans avant d’atteindre le socialisme parfait”.
Wait and see.