Pendant ce temps
Bernard Favre / Le 27 février dernier, à Genève, le Vice-premier ministre du Vietnam, Trân Luu Quang, pérorait devant le Conseil des Droits de l’Homme. Un Conseil où le Vietnam siège désormais pour la période 2023-2025. Très remarqué, son discours évoquait la protection des droits humains, la collaboration multilatérale contre le changement climatique et le développement économique équitable.
Il y a toujours un hic dans les promesses du Vietnam en matière de respect des droits de l’homme .
Deux semaines plus tôt, au Vietnam, le même Trân Luu Quang approuvait le « plan pour renforcer la mise en œuvre effective de la convention contre la torture ». L’homme serait-il sincère ? L’entrée du Vietnam au Conseil des Droits de l’Homme porterait-elle déjà ses fruits ? On apprenait aussi que plusieurs prisonniers de conscience avait été libérés depuis le début de l’année. Sauf qu’il y a, comme toujours, un hic. D’autres militants pro-démocratie ont, eux, été arrêtés durant la même période. Selon plusieurs témoignages, ils n’auraient pas encore observé les changements promis par le « plan pour la mise en œuvre effective de la convention contre la torture. » Ainsi de M. Huong Ngoc Gia, directeur de l’institut d’études politiques, de droit et du développement. Son crime ? Officiellement, évasion fiscale.
Un délit à la mode chez les militants des droits humains : cinq membres éminents d’ONG vietnamiennes ont , ces dernières années, été emprisonnés pour le même motif. Nous ignorons tout des problèmes fiscaux de M. Gia. Ce que nous savons en revanche, c’était qu’il avait publiquement milité, après l’assaut policier de Dong Tam, pour la création d’une commission d’enquête indépendante.
Le 3 janvier, l’activiste Hoang Van Vuong était, elle aussi, arrêtée. Pour « abus de libertés démocratiques ». Le 22 février, Le Minh The subit le même sort, après avoir relayé des articles dénonçant les mauvais traitements subis par sa sœur en prison. Et le 28 mars, Truong Van Dung était condamné à six ans de prison pour avoir donné des interviews et possédé des livres favorables à la démocratie. Cet activiste, qui apportait un soutien aux prisonniers de conscience et à leurs familles, avait déjà été fréquemment harcelé et brutalisé dans le passé.
Aussi, le lendemain de l’intervention genevoise du Vice-premier ministre, le Vietnam se dotait de plusieurs règlementations resserrant encore l’étau de la censure sur les médias et les réseaux sociaux, notamment le règlement sur la responsabilité, la nomination et le licenciement et les sanctions disciplinaires contre les chefs d’agence de presse. C’est très simple : chacun d’entre ces chefs dépend directement du ministère de la propagande, se voit licencié à la première incartade et exclu du parti communiste à la seconde. Ce qui l’empêche définitivement de retrouver un emploi. Le 15 février, une autre règlementation était adoptée, renforçant les sanctions dans le domaine de l’expression artistique et de la publicité.
Que font les grands pontes occidentaux de la liberté d’expression, les Zuckerberg qui chez nous laissent circuler n’importe quel appel à la haine, ces Netflix qui ont la liberté artistique chevillée au portefeuille ? Devinez : ils se soumettent, collaborent étroitement avec les autorités pour bannir tout contenu fragilisant les mensonges officiels.
Sans liberté de presse, les autres libertés n’ont aucun espoir. Au Vietnam, la liberté de presse n’existe pas. Pendant ce temps, à Genève, où toutes ces libertés semble encore solides, seuls 37% des citoyennes et des citoyens ont participé à l’élection de notre parlement, début avril. Personne ne risque de se faire ennuyer pour “abus des libertés démocratiques”. Et un parti, qui fait campagne pour mettre les policiers à l’abri de la justice même en cas d’abus de pouvoir, obtient 12 sièges. Ce parti obtient plus encore : il est, dans la foulée, intégré dans une alliance électorale avec les deux plus anciens partis du canton. Les affiches contre la « racaille d’Annemasse » ou les « pacsés inféconds » ? Oubliées. Prenons garde. De renoncements en reniements, même Genève pourrait perdre bien plus que sa prospère quiétude.
Bernard Favre