Le moment de vérité du Vietnam vu par les activistes et les ONG des droits de l’homme
En préalable à l’examen périodique universel EPU du Conseil des droits de l’homme sur le Vietnam, et après une semaine d’intenses visites d’information préliminaire aux différentes délégations des Nations Unies présentes à Genève, une douzaine de ONG et de personnalités spécialistes ont tenu à organiser au grand public leur conférence publique, débat réalisé en live stream et largement diffusé sur les réseaux sociaux.
En ouvrant la conférence, la députée Masha Alimi, au nom du gouvernement genevois, a souhaité la bienvenue aux participants arrivant à Genève, capitale des droits de l’homme. En particulier, Mme Alimi a accueilli les pasteurs Vang Chi Minh de l’ethnie Hmong et A Ga, réfugiés et venus des Etats-Unis à cette occasion : « Vous êtes les bienvenus sur une terre hospitalière et protestante”.
La députée Joëlle Fiss a ensuite expliqué le sens du processus d’EPU des Nations-Unies , à savoir que tous les problèmes et les préoccupations en matière de droits de l’homme sont inclus et discutés pendant la cession . Aucun pays ne peut refuser ! Toutes les nations et les sociétés civiles ont la possibilité de faire des propositions à n’importe quel pays. Si le gouvernement vietnamien veut continuer à être membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en 2026, comme ils l’ont annoncé, il doit mieux se comporter en la matière et le processus de l’EPU est une occasion unique de le démontrer .
Invitée de marque, Mme Mary Lawlord, Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits de l’Homme, n’a pas pu être présente à la conférence. Cependant, Mme Lawlord a tenu à envoyer un message vidéo à la conférence. Elle a déclaré que les défenseurs des droits de l’homme sur les questions de changement climatique et de protection de l’environnement, de liberté d’expression, liberté de religion et droits des minorités étaient persécutés au Vietnam.
« En réponse à leurs actions pacifiques, ils ont été privés systématiquement de leurs droits fondamentaux par le gouvernement vietnamien, par des arrestations et détentions arbitraires, par des condamnations pénales, par harcèlement et intimidation et par une surveillance systématique. Si les dirigeants du gouvernement vietnamien sont réellement déterminés à promouvoir les droits de l’homme, ils doivent soutenir ces défenseurs au lieu de les emprisonner.”
Suite à ce vibrant message du rapporteur spécial des Nations-Unies sur les Défenseurs des Droits de l’Homme, le séminaire s’est poursuivi avec 3 séances d’échanges sur plusieurs thèmes : la liberté d’expression, les persécutions religieuses et les recommandations pour améliorer la situation des droits de l’homme au Vietnam.
◊ Liberté d’expression
La première discussion sur la liberté d’expression a été animée par Mme Tôn Nu Thuy-Nhiên avec la participation d’Arthur Rochereau (Reporters sans frontières – RSF), Don Lê (Article 19), Margaux Ewen (Freedom House) et Nguyen Van Trang (Viet Tan).
Margaux Ewen et Tôn Nu Thuy-Nhiên
Depuis Taïwan, Arthur Rochereau, du bureau Asie de RSF, a déclaré que le Vietnam reste l’un des pires pays au monde dans le classement de la liberté d’expression. “Nous assistons à de nombreuses arrestations et détentions arbitraires à grande échelle, comme dans les affaires Pham Doan Trang ou Nguyen Lan Thang. Le Vietnam a également mené des actes de transnational de répression en kidnappant des personnes à l’étranger, comme M. Duong Van Thai, en Thaïlande.”
Nguyen Van Trang, un expert des médias sociaux, réfugié en Suisse depuis mars 2024, a déclaré que les réseaux sociaux au Vietnam devaient faire face aux influenceurs d’opinion de l’État. Il a été arrêté comme récemment M. Nguyen Chi Tuyên et M. Nguyên Vu Binh. La masse des influenceurs d’opinion du régime vietnamien se compose d’environ 150 000 individus dont le but est de limiter la portée des activistes sur la page Facebook de Viet Tan.
Margaux Ewen, directrice du programme Free Them All a présenté son nouveau projet visant à soutenir les militants des droits de l’homme et les militants pro-démocratie. En 2023, Freedom House et le Robert Kennedy Center ont déposé un rapport à l’EPU du Vietnam pour documenter la détention et la torture de journalistes civils au Viêt Nam. Le rapport condamne également la répression transfrontalière que mène le Vietnam par des enlèvements de militants vietnamiens à l’étranger.
Nguyen Van Trang et Don Lê
Don Lê est un activiste, organisateur et chercheur axé sur l’intégration des droits et technologie dans l’agence Article 19. Il a constaté que le nombre de journalistes civils travaillant pour des médias indépendants diminue chaque année en raison de la répression accrue du régime. Les lois sur la cybersécurité ont considérablement limité la liberté d’expression en ligne.
◊ Répression religieuse
La deuxième table ronde a porté sur la persécution religieuse avec la présence des pasteurs A Ga et Vang Chi Minh et l’avocat des droits de l’homme Nguyen Van Dai. Cet atelier est coordonné par M. Michel Tran Duc Tuan-Son.
Le Pasteur A Ga, fondateur de l’Église évangélique du Christ des Central Highlands, a pris la parole depuis les États-Unis rappelant les récentes persécutions auxquelles son église protestante a été confrontée.
L’article 70 de la Constitution vietnamienne garantit pourtant la liberté religieuse. Le Vietnam a signé et rejoint le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont l’article 18 garantit la liberté de religion… tout en obligeant les groupes religieux à s’enregistrer auprès des agences d’État.
Le pasteur Vang Chi Minh et l’avocat Nguyen Van Dai
Venant des États-Unis, le Pasteur Vang Chi Minh, de l’Alliance des droits de l’homme Hmong, a évoqué les méthodes similaires des agences de sécurité dans le nord-ouest du Vietnam envers les chrétiens Hmong. Depuis les années 1980, près de la moitié des 1,5 millions de Hmong du Vietnam se sont convertis au protestantisme incitant le régime à les considérer comme une menace croissante.
Les autorités gouvernementales ont essayé par tous les moyens de disperser ces communautés religieuses vers des zones insalubres du nord du pays. Beaucoup d’entre eux ont dû fuir vers le centre du Vietnam ou vers les pays voisins comme le Laos, le Cambodge, le Myanmar et la Thaïlande. Même en Thaïlande, les Hmong ne sont en sécurité car beaucoup d’entre eux n’ont pas de documents d’identité délivrés par le Vietnam et ne peuvent pas demander le statut de réfugié auprès du Haut Commissariat des Nations Unies.
L’avocat Nguyen Van Dai venu d’Allemagne, a réitéré que le Vietnam est un pays dictatorial où toutes les communautés religieuses doivent s’inscrire auprès des autorités. Aujourd’hui, il déplore que la question de liberté de religion n’est malheureusement plus une priorité pour les pays occidentaux.
◊ Recommandations
Alexandre de Senarclens et Sylvia Palomba
L’avocate Sylvia Palomba (Destination Justice) a animé la table ronde finale pour les recommandations avec la participation du député Alexandre de Senarclens (Cosunam), de Wiebke Hangst (Media Defence) et Hoang Tu Duy (Viet Tan).
Secrétaire général de Viet Tan, Hoang Tu Duy a déclaré que Hanoï avait fait beaucoup d’efforts de façade pour construire l’image d’un pays respectueux des droits de l’homme après avoir subi les feux des critiques en 2019 et pour pouvoir devenir membre du Conseil des droits de l’homme de Nations Unies. Mais à ce jour, le constat est négatif et la vérité est accablante.
Wiebke Hangst, avocate de Media Defence, a annoncé que son organisation aidait les familles des journalistes civils détenus à déposer des plaintes auprès du Comité des Nations Unies contre la persécution et la détention arbitraire (UNGWAD).
Alexandre de Senarclens, avocat, député et membre du Comité Suisse-Vietnamien (Cosunam), a souligné qu’il avait envoyé à deux reprises une lettre cosignée par une quinzaine de députés à l’ambassadeur vietnamien en Suisse pour une entrevue constructive sur ce sujet. Cependant, tous ces démarches n’ont reçu aucune réponse du Vietnam.
Pour résumer la conférence, Sébastien Desfayes, avocat, député et président de Cosunam, a rappelé qu’en 2019, le Vietnam avait accepté 83% des recommandations de la communauté internationale. Il ne croit pas que Hanoï changera automatiquement « pour le mieux » après l’EPU 2024 ” le gouvernement vietnamien n’atténuera la répression que sous la pression forte de la communauté . Et ce qui est sûr, c’est que nous continuerons à nous battre aux côtés des défenseurs des droits de l’homme”.
De nombreux membres et amis du Cosunam étaient aussi présents pendant cette journée , dont Pascale Berry-Wavre, Jean-Marc Comte, Jean-Luc von Arx, Conseiller municipal de Genève, Vincent Gillet, Secrétaire général du Centre, Philippe Souaille, journaliste et cinéaste, Bernard Favre, Lê Van Vinh-Thanh …♦
Wiebke Hangst, Michel Tran Duc Tuân-Son, Masha Alimi , Margaux Ewen, Elodie Vialle