” La Chine + Un”
L’année 2022 laissera un goût amer aux défenseurs d’un Vietnam libre : sans vouloir être exhaustif, les activistes des droits humains sont emprisonnés, la corruption gangrène le pays, les règles élémentaires d’un état de droit sont bafouées et la République Socialiste du Vietnam est élue au Conseil des droits de l’Hommes de l’ONU ( voir nos précédentes Newsletter ).
Mais, quarante-sept ans après l’entrée des troupes communistes à Saigon et trente-trois ans après la chute du mur, le régime des apparatchiks d’Hanoï, tout sclérosé qu’il est, apparaît plus acceptable que jamais. Plusieurs raisons peuvent expliquer la toute-puissance du parti unique, mais la plus importante tient très certainement au rôle tenu par le Vietnam dans une économie mondiale pour laquelle le respect des droits humains est une question futile.
Au début des années 2010, des économistes anglo-américains développaient la théorie dite de « la Chine + Un » : en substance, les années 1995-2010 avaient été marquées par des investissements colossaux des entreprises occidentales en Chine pour produire des biens, mais aussi pour pénétrer un marché dont l’essor semblait infini. La Chine était ainsi devenue la deuxième économie du monde. Mais à mesure que l’économie chinoise grandissait, certains de ses avantages, si attrayants pour les entreprises occidentales préoccupés exclusivement par le profit, s’estompaient. Les salaires augmentaient, la main d’œuvre disponible se faisait plus rare, les incitations fiscales les plus attractives étaient supprimées, etc. Bref, il fallait trouver une alternative à la Chine quand bien même, à cette époque, les relations entre cette dernière, d’une part, et les Etats-Unis et l’Europe, d’autre part, restaient relativement « cordiales ».
Pour les multinationales occidentales, il apparaissait, dès 2010 déjà, judicieux de se diversifier en ouvrant des sites de production dans d’autres pays d’Asie, notamment au Vietnam, en Indonésie, ou au Myanmar en se bouchant naturellement le nez. Cette stratégie de « la Chine + Un » présentait plusieurs avantages pour les multinationales : les coûts de production diminuaient au regard des salaires misérables offerts dans la plupart des pays du Sud-Est asiatiques ; les risques de fluctuations monétaires et des risques tarifaires étaient « diversifiés » et le déplacement vers un ou plusieurs autres pays ouvraient de nouveaux marchés…
Cette stratégie de la “Chine + Un” a connu une accélération foudroyante au cours des dernières années, en raison des problèmes commerciaux et politiques croissants entre la Chine et les États-Unis. Jugé plus sûr que le Myanmar et l’Indonésie, moins cher que la Thaïlande et profitant de sa proximité géographiques avec la Chine, le Vietnam a très largement profité de cette tendance. La part de la Chine dans les importations américaines de vêtements a diminué régulièrement, passant de 40 % à 33 %, tandis que la part du Vietnam a plus que doublé. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont passé des accords commerciaux avec le Vietnam ; la Suisse s’apprête à le faire ; les dignitaires vietnamiens sont accueillis avec intérêt par les milieux politiques et économiques suisses ; des transactions commerciales importantes sont passées sans états d’âme. En un mot, ce n’est pas le moment de s’embarrasser de considérations « Droit de l’Hommistes », l’Occident a un nouveau partenaire dont il ne peut pas se passer en ce moment.
Sébastien Desfayes, président du Comité Suisse Vietnam COSUNAM / Décembre 2022