Quand l’ancien chef de la Sécurité Tô Lâm remplace l’idéologue marxiste Nguyen Phu Trong
Le secrétaire général Nguyen Phu Trong est décédé le 19 juillet 2024, à l’âge de 80 ans. L’héritage d’un dirigeant fort devient souvent un sujet de discussion intense avant et après sa mort. Pour Nguyen Phu Trong, cet héritage est souvent associé à la campagne du « feu de paille ou fournaise ardente » sa lutte contre la corruption. Cependant, la lutte contre la corruption n’est pas son seul héritage, peut-être même pas le plus important.
La campagne anti-corruption de Nguyen Phu Trong avait permis à Tô Lâm, le ministre de la Sécurité et Police de bénéficier d’un pouvoir politique important au sein du Politburo. De plus, la décision de Trong d’occuper le poste de secrétaire général au-delà de la limite d’âge et de la durée du mandat fixées par les statuts du PCVN pourrait avoir créé un dangereux précédent pour la continuité du régime communiste et mettant en péril la tradition de leadership collectif au Vietnam.
Bien que Tô Lâm soit maintenant dans une position extrêmement forte, il devra relever le défi d’être à la hauteur de la réputation de Trong en tant qu’idéologue communiste traditionnel.
Après des semaines d’atermoiements et de rebondissements suite à des luttes internes de pouvoir pour le rôle de président du Vietnam , et un jour avant le décès du secrétaire général Nguyen Phu Trong, le Politburo a annoncé que Tô Lâm reprendrait la responsabilité de chef intérimaire du Parti communiste vietnamien (PCVN) jusqu’au prochain congrès de 2026 (*).
Après le décès de Trong, de nombreux articles ont été consacrés à l’héritage qu’il a laissé en tant que chef du parti communiste pendant plus de dix ans. Le récit officiel du gouvernement l’encense pour avoir assaini le gouvernement (« ennemis internes ») par le biais de la campagne « fournaise ardente ». La plupart des analystes occidentaux de la politique étrangère lui reconnaissent d’avoir promu la politique de la « diplomatie du bambou », un mélange de neutralité et d’opportunisme , qui a favorisé les investissements et les échanges commerciaux du Viêt Nam avec ses partenaires occidentaux en dépit de ses sentiments personnels à l’égard de la Chine en tant qu’idéologue marxiste. Ainsi , tout en protestant sur la scène internationale de la menace militaire et des violations flagrantes de Pékin en Mer de Chine, Hanoi réprime violemment toute manifestation de la société civile à cet égard.
Si l’ascension de To Lam peut stabiliser l’environnement politique parmi les principaux dirigeants du Viêt Nam, ce pays va connaitre également un changement autocratique préoccupant qui rappelle celui de la Chine avec Xi Jiping.
Le pouvoir de Tô Lâm
La nomination de Tô Lâm en tant que secrétaire général a été longue à venir en raison des luttes de pouvoir qui ont agité le PCVN ces dernières années dans le cadre de la campagne campagne anti-corruption. Au début de l’année 2024 la campagne a entraîné le limogeage de plusieurs membres importants du Politburo en l’espace de quelques mois dont l’ancien président Vo Van Thuong, le président de l’Assemblée nationale Vuong Dinh Hue et un membre permanent du Politburo Mme Truong Thi Mai. Tous étaient commodément des rivaux de To Lam pour le poste de chef du parti. La campagne a permis d’écarter aussi ceux qui étaient considérés comme les « technocrates économistes » de tendance occidentale. Actuellement la seule personne restante ayant suffisamment d’ancienneté pour résister à cette purge serait l’actuel Premier ministre Pham Minh Chinh lequel est censé représenter le gouvernement civil.
Poutine en visite officielle au Vietnam le 20 juin 2024 avec Tô Lâm qui indiquait ” espérer pousser la coopération en matière de défense et de sécurité entre les deux pays”.
Un tournant autoritaire dangereux
Le gouvernement vietnamien n’a jamais été considéré comme démocratique, mais il y a toujours eu un sentiment de leadership collectif. Les « quatre piliers » – le chef du parti, le premier ministre, le président et le président de l’Assemblée nationale – étaient chargés de diviser le pouvoir entre les différentes factions du régime.
Mais la circonstance la plus alarmante dans la montée au pouvoir de Tô Lâm, c’est que ce dernier continue à contrôler effectivement la police et l’armée. Il a réussi en nommant son protégé Luong Tam Quang à la tête du ministère de ces 2 institutions. En tant que secrétaire général et chef du parti, Tô Lâm devient également le secrétaire de la Commission militaire centrale, chef idéologique de l’armée populaire vietnamienne, qui exerce une influence politique déterminante sur le ministère de la défense nationale.
Le problème de réputation de To Lam
Tô Lâm est également confronté à un problème unique : sa réputation personnelle, qui sera comparée et opposée à celle de son prédécesseur Trong. Ce dernier était connu comme un idéologue marxiste au style de vie simple par choix personnel et amplifié par la propagande du PCVN .
En revanche, le public connaît To Lam pour l’incident du « Salt Bae » en 2021. Au plus fort de la pandémie de COVID-19, une vidéo divulguée a montré To Lam se faisant servir un morceau de steak en croûte d’or à plus de mille euros dans le célèbre restaurant « Salt Bae » à Londres lors de sa visite officielle au Royaume-Uni.
En Europe, il y a eu le scandale du kidnapping en 2017 orchestré par son Ministère de l’apparatchik en fuite Trinh Xuan Thanh en plein centre de Berlin au grand dam des autorités allemandes. La Slovaquie a déclaré Tô Lâm persona non grata sur son territoire après qu’il aurait abusé de sa position pour rapatrier de force le fuyard. Finalement, malgré les protestations de la justice allemande, l’affaire a été étouffée pour des raisons commerciales, real politik oblige.
Ainsi, avec l’avénement de Tô Lâm , le Vietnam va avoir à un changement de dirigeant qui passe d’un idéologue communiste ascète et traditionnel (Nguyen Phu Trong) à un apparatchik de la Sécurité et de la Police, lequel a fait emprisonner quelques deux cents activistes des droits de l’homme et contestataires de la société civile à ce jour.
Trong était largement appelé « le dernier communiste » par de nombreux commentateurs vietnamiens. D’une certaine manière, si Tô Lâm lui succède, peut-être Trong était-il en effet le dernier communiste.
(*) Tô Lâm est devenu , samedi 3 août, Secrétaire général du Parti communiste au pouvoir, à peine 3 semaines après le décès à 80 ans de son prédécesseur, Nguyen Phu Trong, dont le mandat devait s’achever en 2026. Au Vietnam, le secrétaire général du Parti communiste est de fait le principal dirigeant du pays.